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On est toujours le juif de quelqu’un

Opinion

On est toujours le juif de quelqu’un

publié le 8 Nov 2023 par Camille Joly

temps de lecture : 4min

LE BILLET« On est toujours le juif de quelqu’un. Aujourd’hui ce sont les gens de ma race. Demain, ce seront les Arabes. Après-demain, ce seront les Gitans. Et qui sait, dans un autre avenir, les malades et les vieillards », peut-on lire dans Le Livre de saphir. L’auteur, Gilbert Sinoué, né Samir-Gilbert Kassab, est un écrivain en langue française vivant à Paris, né au Caire d’un père melkite, c’est-à-dire un chrétien d’Orient de rite grec catholique. Tout, dans la vie et dans l’œuvre de cet homme, illustre ce que l’humanité a de plus beau : sa mixité, son métissage, la richesse de ses différences. Aux confluences de l’affirmation fondamentale des trois grandes religions méditerranéennes, il met aussi en lumière notre unicité, la source commune abrahamique du judaïsme, du christianisme et de l’islam.

Et pourtant, c’est à cette racine de notre bien que couve aujourd’hui le mal. Dans le berceau de nos religions, cette terre doublement promise de Palestine où dès le début du XXe siècle de nombreux juifs européens exposés aux atrocités du nazisme commencèrent à se réfugier. La fin de la Seconde guerre mondiale et l’affluence des centaines de milliers de survivants de la Shoah ne feront qu’accentuer ce qui deviendra rapidement une crise entre un État juif et un État arabe indépendant. Puis une guerre… Quelle tristesse de réaliser que ce soit l’hydre, vomie il y a près d’un siècle maintenant par le cerveau malade d’Adolphe Hitler, qui ait indirectement rouvert les portes au mal contemporain.

Laissez-moi vous conter une histoire personnelle. C’était en 2008, j’étais grand reporter au Chili, pays où l’immigration a aussi créé un métissage porteur de richesses. L’aventure m’amena à 3 000 m, aux lisières de la civilisation, dans la cordillère à voyager dans le 4×4 de Viktor, un “fincero”. Riche propriétaire terrien d’origine allemande, dont la famille avait immigré en 1944. Installés sur les sièges arrière, ses gardes du corps étaient armés. À la radio, jouait un air d’opéra, entonné par la cantatrice Éva Zimmermann. « Elle fut un temps la maîtresse du Führer » m’expliqua-t-il. « Puis, il l’a déporté à Ravensbrück », rajouta-t-il avec pour épilogue effrayant : « Normal, elle avait épousé un juif ». Après un long silence, il me questionna : « au fait, ton nom, Zimmermann, c’est pas juif ? ». J’ai vu ma vie, ma femme, mes enfants, défiler devant mes yeux en quelques secondes. Je ne suis ni un héros, ni même plus téméraire qu’un autre. Et pourtant, ma réponse a fusé, presque malgré moi : « Je ne connais pas tous mes ancêtres. Mais en te voyant, j’ai envie de te dire que je suis juif ». Aujourd’hui, je ne comprends toujours pas vraiment pourquoi je suis encore là. Mais ce dont je suis sûr, c’est que mon rôle est de témoigner : on est toujours le juif de quelqu’un ! Il est impératif de l’assumer avec fierté, pour ne pas laisser les barbares de tous poils anéantir notre humanité.

L’hydre du racisme ne se nourrit que d’une haine de couard. Sa plus horrible déclinaison porte le nom d’intégrisme. Un mal qui ne connaît pas de frontières et massacre de façon aveugle, pour ne pas affronter l’évidence d’une genèse commune, excluant catégoriquement toute supériorité de l’un sur l’autre. Abraham, littéralement « père d’une multitude de nations », Ibrahim dans le Coran, est notre patriarche commun. Voilà près de 4 000 ans que son sacrifice aurait dû être le dernier des sacrifices humains. Pourtant, aujourd’hui encore, l’horreur secoue le monde depuis la terre de Canaan.

Pour relever enfin le défi de la paix, poussons au miracle de l’amour. Soyons tous le juif de quelqu’un. Après tout, il parait qu’« Un Juif qui ne croit pas aux miracles n’est pas réaliste ». C’est David Ben Gourion, fondateur de l’État d’Israël, qui l’affirme !

Ce billet a été écrit en pensant à Dany, ami “feuj”, dont le fils lutte dans le commando Hubert pour préserver notre démocratie de la barbarie.